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Photo du rédacteurEPI Secretariat

Une décennie de dévouement aux éléphants de forêt du Gabon

Notre amie du mois de l'année est Stéphanie Bourgeois, point focal technique du système de gestion des stocks pour l'EPIF au Gabon, qui travaille pour l'Agence des parcs nationaux du Gabon depuis plus de dix ans. Elle coordonne un programme de recherche sur l'éléphant de forêt, une espèce discrète et peu connue malgré sa taille imposante. Pour mieux connaître et protéger ces éléphants, son équipe a développé une approche innovante qui combine génétique, colliers GPS, pièges photographiques et acoustiques, ainsi que le suivi des carcasses et la saisie de l'ivoire.

Stéphanie Bourgeois collecte de données en forêt (crédit photo: Kevin Ndong/ANPN)

Racontez-nous un peu comment vous avez grandi et où votre passion pour la faune et la flore s'est éveillée.


J’ai grandi près de Paris, en France, loin de la nature sauvage. Mon premier contact avec la faune et la flore est venu des documentaires et magazines qui me faisaient rêver quand j’étais enfant. Plus tard, c’est en voyageant que j’ai vraiment découvert la richesse des grands espaces. Très jeune, j’ai pris conscience des menaces qui pèsent sur la faune sauvage, notamment à travers des images marquantes d’éléphants et de rhinocéros mutilés pour leur ivoire ou leur corne. Ma passion pour les éléphants s’est affirmée avec la campagne de 1989 contre le commerce de l’ivoire. Ils incarnent, pour moi, un symbole d’espoir et de résilience, rappelant que nous pouvons encore préserver une place pour la vie sauvage dans un monde dominé par les activités humaines.


Dans votre expérience de travail pour la conservation de la faune au Gabon, quel a été le point culminant de votre carrière?


Le point culminant de ma carrière a été la mise en place du laboratoire de génétique forensique de la faune de l’ANPN, inauguré en 2021 après plusieurs années d’efforts. Ce laboratoire, une première en Afrique centrale, utilise la génétique comme un outil clé pour soutenir les enquêtes criminelles et les poursuites judiciaires liées au braconnage. Nous collaborons avec plusieurs pays d’Afrique et d’Asie pour identifier la provenance géographique des grandes saisies d’ivoire d’éléphants et d’écailles de pangolin, l’ADN étant la seule technologie capable de remonter jusqu’à la source.


Grâce aux techniques génétiques innovantes que nous avons développées pour les éléphants de forêt, nous avons repoussé les limites de la traçabilité : nous pouvons désormais établir des correspondances précises entre des ivoires saisis et des carcasses d’éléphants braconnés, apportant ainsi des preuves solides dans la lutte contre le trafic d’ivoire. Ces avancées ont également permis de réaliser le premier recensement génétique des éléphants au Gabon, une étape essentielle pour leur conservation.


Dans le laboratoire de génétique forensique de la faune de l’ANPN, à Libreville, Gabon (crédit photo : Kevin Ndong/ANPN)

Y a-t-il une histoire que vous pouvez partager et qui vous permet de garder espoir pour la conservation de la vie sauvage?


Je pense immédiatement à des souvenirs de rencontres sereines avec des éléphants de forêt dans leur habitat naturel. L'espèce fait face à de nombreuses menaces et nous savons que pour survivre, elle adapte son comportement, se déplaçant plutôt la nuit dans les zones ouvertes pour éviter les humains. Pourtant, dans certaines clairières, appelées baïs, où les éléphants viennent chercher des sels minéraux, nous avons encore la chance de les observer en pleine journée. Je me souviens particulièrement d'une rencontre avec une femelle et son bébé. Malgré l’arrivée de notre groupe de huit personnes dans la clairière, en plein milieu de la journée, elle nous a vus mais est restée calme et a continué à puiser les sels minéraux, sans montrer de signe de fuite.

Cela prouve que les efforts conjoints des autorités, des patrouilles de protection, des scientifiques, des communautés locales, permettent de faire une différence. Il est possible de préserver des zones où les pressions humaines diminuent et où des espèces comme l'éléphant de forêt peuvent continuer à jouer leur rôle essentiel dans le maintien de l'équilibre des écosystèmes forestiers.


Prélèvement d’échantillons sur un os d’éléphant (crédit photo : Natacha Giler)

En tant que point focal technique SMS pour le Gabon, quelle est votre opinion sur le rôle de la technologie dans l'autonomisation de la conservation de la faune au niveau national?


Le développement de la technologie joue un rôle clé dans la conservation de la faune au Gabon. Elle permet une collecte rigoureuse des données, leur centralisation rapide dans une base nationale, et une gestion transparente et efficace, particulièrement pour des données sensibles comme les stocks d’ivoire. Le SMS, par exemple, a considérablement amélioré notre efficacité et notre transparence. Nous utilisons également à l’échelle nationale des technologies comme les colliers GPS et les pièges photographiques. Ces outils génèrent des données essentielles pour étudier une espèce discrète comme l’éléphant de forêt, tout en produisant une quantité d’informations inédite. Ces données, indispensables à des prises de décision basées sur des faits, n’auraient pas pu être obtenues autrement.


Cependant, la technologie seule ne suffit pas. Il est indispensable de former les gestionnaires locaux à son utilisation pour garantir une réelle appropriation. Des outils simples, accessibles et intuitifs sont nécessaires pour que les utilisateurs puissent comprendre, manipuler et exploiter les données efficacement. Par exemple, nous avons mis en place un système de rapports automatisés, basé sur les colliers GPS, pour suivre les mouvements des éléphants et adapter nos stratégies de conservation. Ainsi, la technologie doit être vue comme un moyen de soutenir une gestion participative et informée de la faune. Elle favorise une planification à long terme, une meilleure transparence, et renforce la confiance des partenaires et des communautés locales.


Prélèvement d’échantillons sur une saisie d’ivoire (crédit photo : ANPN)

La question complexe du maintien de la biodiversité en Afrique et de la protection des espèces sauvages restantes reste un sujet d'actualité dans le domaine de la conservation sur le continent. En tant que professionnel de la faune, quelles sont, selon vous, les solutions les plus pratiques?


La question de la conservation des éléphants au Gabon et, plus largement, de la biodiversité en Afrique, est effectivement complexe. La population d’éléphants du Gabon semble stable selon le dernier recensement national, mais cela ne doit pas faire oublier que certaines zones ont été gravement affectées par le braconnage et du trafic d'ivoire. De plus, l’augmentation des conflits avec les communautés locales, reflète la difficulté de coexister avec cette espèce, toujours classée en danger critique d’extinction.


Il est crucial de maintenir et intensifier les efforts de lutte contre le braconnage et le trafic d'ivoire, mais cela ne suffit pas. Il est tout aussi essentiel de promouvoir une coexistence durable entre les humains et les éléphants. Cela passe par des initiatives locales visant à réduire les conflits, comme la mise en place de mesures de protection des cultures, mais aussi une collaboration entre tous les acteurs pour une meilleure planification à l’échelle du territoire. L’implication des communautés locales dans la gestion de la faune et des ressources naturelles est au cœur des politiques de conservation au Gabon.


La recherche scientifique joue également un rôle central. En comprenant mieux les comportements des éléphants, les dynamiques des populations et l’impact des activités humaines, nous pouvons concevoir des mesures de conservation adaptées. En particulier, il est urgent de comprendre les causes et dynamiques des conflits homme-faune à travers une approche interdisciplinaire mêlant écologie et sciences sociales, afin de proposer des solutions à long terme. Une approche basée sur les données et les résultats scientifiques est essentielle pour prendre des décisions éclairées, de manière à garantir un avenir durable à nos écosystèmes.


Observation d’un groupe d’éléphants au baï de Langoué, au Gabon (crédit photo : Natacha Giler)

Restez-vous optimiste quant à la possibilité d'une coexistence entre l'homme et la faune en Afrique?


Je reste optimiste, car l’homme et la faune ont coexisté harmonieusement pendant des millénaires en Afrique. Cependant, cet équilibre a été perturbé de manière brutale et rapide au cours des dernières décennies, principalement en raison du braconnage et de la pression humaine croissante sur les habitats. Il est donc de notre responsabilité de trouver un nouveau modèle de coexistence, qui soit bénéfique à la fois pour la faune et pour les communautés humaines.


Cette coexistence n'est pas utopique. Elle est essentielle non seulement pour la survie des espèces, mais aussi pour l’avenir des générations futures. La faune joue un rôle clé au sein des écosystèmes, et particulièrement des espèces comme l'éléphant, qui agit comme un ingénieur des forêts. Cette espèce est indispensable au fonctionnement des forêts du bassin du Congo, qui constituent le deuxième massif forestier tropical au monde. Ces forêts jouent un rôle de premier plan dans la lutte contre les changements climatiques et contribuent au bien-être des populations locales de cette sous-région. Protéger les éléphants de forêt, c’est donc préserver un bien commun qui bénéficie à toute l’humanité.


Enfin, il est important de souligner que la conservation ne s’oppose pas au développement humain. Des approches basées sur des données scientifiques et une planification à long terme peuvent permettre de concilier développement économique et préservation de la faune, à condition de prendre en compte les liens étroits entre la faune, son habitat et les populations humaines.

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